D’ici 2050 la population mondiale atteindra les 9 milliards d’individus, ce qui nécessiterait d’augmenter la production de viande et de lait de 70%. Cette hausse sera en grande majorité absorbée par les pays en voie de développement, qui font déjà face à de nombreux défis en matière de sécurité alimentaire. Paradoxalement, dans les pays développés, la consommation de viande aura sans doute fortement décliné pour retrouver un niveau « raisonnable » (1 fois par semaine au lieu de 3-4 fois), à la fois pour des raisons éthiques et de santé.
Nous nous trouvons donc à un moment crucial pour que l’élevage puisse répondre aux impératifs internationaux qui exigent à la fois de produire davantage tout en limitant la pollution et le mal-être animal que cela engendre. La recherche d’un système d’élevage durable qui réponde à ces exigences est donc une question d’actualité brûlante. Néanmoins, les différents systèmes d’élevage varient largement sur leurs intrants, leur impact environnemental et la qualité de leur production.
Table des matières
Mieux nourrir les animaux
L’intensification de l’élevage peut être basée soit sur des systèmes extensifs pastoraux, soit sur des systèmes industriels type feedlots (en français, parcs d’engraissement), qui utilisent des céréales pour nourrir les animaux. Néanmoins ces deux approches ont bien intégré les problématiques de gestion de l’eau et de pollution de l’air, des émissions de carbone, de dégradation des sols, de rendement efficace pour la production et bien sûr de bien-être animal, donc de qualité des produits.
La durabilité de n’importe quel système d’élevage nécessite de respecter 3 besoins :
- celui de la société, en fournissant un produit sain que le consommateur voudra acheter en toute confiance
- celui de l’économie, en fournissant un produit sain au sein d’un système économique vertueux
- celui de l’environnement, en assurant que la production minimise les émissions de gaz à effet de serre et respecte les écosystèmes environnants.
L’élevage extensif peut faire face à ces trois impératifs. Il a été démontré que les animaux issus de ces systèmes possèdent un meilleur équilibre de nutriments bénéfiques comme les vitamines et acides gras essentiels (Omega 3- Omega 6), que les animaux issus d’élevages industriels. Les produits qui en sont issus ont également une durée de conservation plus longue car ils contiennent beaucoup plus de vitamine E, donc d’antioxydants.
Par ailleurs, en permettant aux animaux de chercher eux-mêmes leur nourriture dans les pâtures, il a été montré que cela réduisait les émissions de méthane et améliorait la qualité des sols et la biodiversité.
Certes, ces élevages ont moins de charges (notamment en nourriture pour les animaux), mais on pourra leur reprocher d’être moins rapidement rentable que les élevages type industriels. Cependant, il n’est pas toujours utile d’avoir une exploitation de très grande taille : il est souvent mieux d’avoir moins d’animaux, mais par conséquent d’avoir moins de coûts et d’être plus compétitif, car plus à même de produire de la qualité.
Un point intéressant a été soulevé par chercheur de l’université de Cambridge, concernant la lutte contre le gaspillage alimentaire et le nourrissage des animaux d’élevage. A l’heure actuelle en Europe, il est interdit de nourrir les animaux d’élevage, et notamment les porcs, avec des déchets alimentaires humains. Pourtant, si cette disposition redevenait légale, cela permettrait « d’économiser » 1,8 million d’hectares de surface agricole, d’améliorer le profit de nombreux exploitants agricoles et également de produire du porc de meilleure qualité.
Il se trouve que ce mode de nourrissage est parfaitement légal et utilisé dans de nombreux pays comme une solution à bas coût et ayant une très faible empreinte écologique. Ainsi au Japon et en Corée du Sud, l’utilisation de déchets alimentaires est étroitement contrôlée, la nourriture est traitée pour être rendue consommable par les animaux. Ainsi respectivement, ces deux pays recyclent près de 35,9% et 42,5% de leurs déchets alimentaires en nourriture pour les animaux d’élevage.
Ce type d’alimentation coûte 40 à 60% du prix de la nourriture conventionnelle, et au final, on ne peut voir aucune différence gustative entre des porcs ayant consommé des déchets alimentaires et d’autres nourris au grain.
De nombreuses interventions très techniques sur la nutrition animale ont permis également de comprendre que dans les systèmes pastoraux, il était nécessaire d’adapter l’alimentation des animaux à la flore locale. Ainsi, si les animaux manquent de certaines ressources trouvées dans certaines plantes, parce que leur pays ne les possède pas, aux fermiers de trouver les solutions pour combler les manques nutritionnels et veiller à leur fournir des rations équilibrées. C’est ainsi le cas pour des élevages ovins à l’est de Java, en Indonésie, nourris avec une base de fourrage de maïs, complétée par des feuilles de manioc.
La cause animale : un sujet pris très au sérieux
En France par exemple, à deux mois des élections présidentielles 2022, le sujet de la cause animale est pris très au sérieux : c’est même devenu un argument et une cause importante de vote pour près de 40% des français !
La majorité des 16 prétendant€s à la fonction convoitée de Président de la République ont en bien conscience, certaines et certains d’entre eux l’ont d’ailleurs ajouté à leur programme électoral (par conviction ou à des fins électoralistes, l’avenir nous le dira…).
Impact sur la santé humaine
Partout dans le monde, et particulièrement dans le monde occidental, les débats sur la consommation de produits d’origine animale et leur impact sur la santé humaine à moyen et long terme s’imposent de plus en plus comme une question de santé publique. Trois problématiques majeures façonneront les politiques alimentaires des décennies à venir : la généralisation de l’obésité, l’espérance de vie accrue de la population et l’obligation d’augmenter la production alimentaire d’environ 50% d’ici 2030 pour satisfaire une demande en constante hausse, tout en limitant l’impact sur l’environnement.
Les produits d’origine animale « coûtent » cher à l’environnement, de nombreuses études et observations l’ont montré. On sait moins quel est exactement leur rôle dans une alimentation équilibrée et leur impact depuis l’enfance jusqu’à la vieillesse. La plupart des consommateurs pensent que le lait et les produits laitiers sont d’importantes sources de nutriments tels que le calcium et l’iode, que la viande rouge est une source incontestable de zinc et de fer, mais on s’interroge de plus en plus également sur leur rôle dans l’augmentation des risques de maladies cardio-vasculaires et autres maladies chroniques.
Les études menées sur de longues périodes s’accordent toutes à dire que le lait n’aurait aucun impact négatif sur la santé, et peu de gens le contestent. Les effets du beurre, du fromage et du lait demi-écrémé restent cependant incertains.
Le cas de la viande rouge est plus complexe, bien que le lien entre la consommation de viande et le cancer colorectal concerne surtout les produits industriels dérivés de la viande comme la charcuterie.
Il reste néanmoins prouvé aujourd’hui que les problématiques de santé et d’alimentation liées aux enfants, aux femmes enceintes et aux personnes âgées peuvent être réduites par l’apport de certaines ressources que l’on trouve dans les produits d’origine animale. Il serait par exemple simpliste de remplacer les protéines issues du lait par des protéines végétales, car elles n’auront pas le même apport nutritionnel à long terme.
Le prix d’une alimentation saine
Néanmoins, une question se pose : combien coûte un régime alimentaire sain, et qui a les moyens d’en bénéficier ?
Pour la majorité des organisations mondiales sur l’alimentation, la sécurité alimentaire se définit comme « un accès suffisant pour tout le monde et en tout temps à une alimentation saine, nourrissante, de façon à mener une vie active en bonne santé ». Or, fournir une nourriture de qualité et en quantité suffisante pour une population en croissance rapide et importante est un véritable défi. On souligne aussi souvent que produire une nourriture de meilleure qualité et avec une empreinte écologique moindre aura forcément un impact sur le prix final. Même dans les sociétés les plus riches, les membres les plus pauvres sont les plus vulnérables aux variations de prix dans le domaine alimentaire. Or, ces variations de coûts et l’impact qu’elles auront sur la santé humaine sont rarement discutées.
Ainsi donc en 2012 :
- 17% des adultes manquaient de nourriture (contre 12% en 1999)
- 13,4% des adultes ne peuvent pas se payer de viande / de poisson / de légumes au moins une fois par semaine
- 20,8% des adultes pauvres n’en mangent jamais
- 10,8% des enfants pauvres n’en mangent jamais
- 10% n’ont ni amis ni famille chez qui en manger une fois par semaine
Le coût hebdomadaire d’un régime équilibré serait (en 2012) d’environ 68 euros. En réalité, la plupart des gens dépensent environ 47 euros.
Les personnes en difficulté financière achètent plutôt des denrées qui durent longtemps et qui seront mangées par tous les membres de la famille : de fait, lorsque le revenu baisse, le régime alimentaire change tout de suite.
Face à la hausse des prix et l’inflation donc, les ménages en difficulté n’achètent plus de bœuf ou d’agneau, mais plus de porc ou de volaille (viandes moins chères), et -20% de beurre.
Aussi, augmenter les coûts de l’alimentation pour produire plus de qualité, mais pas encore de façon globale, entraînerait l’effet inverse pour une majorité de la population : un régime alimentaire plus mauvais pour la santé et pas du tout durable. Il faut viser un système alimentaire sécurisé (dont chacun peut profiter), équitable et durable.
Vers un élevage respectueux du bien-être animal ?
Alors que les préoccupations principales se tournent vers une augmentation globale de la production alimentaire, il pourrait être facile de reléguer les considérations sur le bien-être animal au second plan. Or, pour les scientifiques spécialistes du comportement et du bien-être animal, non seulement l’amélioration du bien-être des animaux d’élevage est une obligation morale, mais c’est surtout une question centrale lorsque l’on veut produire un système d’élevage durable.
Pendant longtemps, les animaux ont été considérés avant tout comme disponibles pour satisfaire les besoins des humains (comme en atteste les écrits de Saint Thomas d’Aquin – 1225-1275). Ils sont notre propriété, sur laquelle nous avons toute puissance (cf Treatment of Cattle Bill de 1822 du droit anglais). Ces notions ont largement nourri le développement de l’agriculture et de l’élevage tel que nous le connaissons aujourd’hui. L’approche moderne et occidentale de la production animale a été largement motivée, parmi d’autres choses, par des impératifs commerciaux, par le « droit » des gens à avoir accès à des sources de protéines à bas prix, et par la nécessité de tirer un maximum de profit du moindre hectare de terre disponible pour l’agriculture. Mais en même temps, les notions de bien-être animal sont également apparues, et se sont imposées de plus en plus. Aujourd’hui, les consommateurs s’inquiètent profondément de la façon dont sont traités les animaux d’élevage, comme en témoignent l’achat maintenant généralisé d’oeufs de poules élevées en plein air.
D’ici à 2050 on abattra deux fois plus d’animaux chaque année partout dans le monde. Dans les années 60, on abattait ainsi 10 millions d’animaux : c’est 56 millions aujourd’hui, alors que la population mondiale a seulement doublé.
Pour suivre cette énorme demande, les méthodes de production ont également évolué : si en 1925, il fallait 110 jours d’élevage pour un poulet avant abattage. Aujourd’hui, c’est 42 jours, soit 68 jours en moins pour atteindre le poids désiré de 2,5 kg.
Pour les vaches laitières, l’exploitation a évolué de même : en 1995-1996, une vache laitière produisait 5512 litres par an. En 2013-2014, on est passé à 7531 litres par an, soit l’équivalent de 94 bains de lait en plus !
Cette révolution agricole, qui exige toujours plus des animaux, est née après la Seconde guerre mondiale. Avec la mécanisation, la nécessité de nourrir une population en augmentation, les systèmes de production se sont industrialisés, les animaux sont devenus des « machines ». Et pour de nombreux observateurs cités par la chercheuse, « le langage de la cruauté ne couvre pas la réalité de ce qui se passe dans l’élevage intensif »…
Malgré tout depuis une trentaine d’années, la notion de bien-être animal a fait son chemin.
Qu’entend-on par « bien-être » ? Cela doit recouvrir trois critères :
- l’état physique (la santé, le bien-être biologique)
- l’état mental (la vie émotionnelle, les expressions de peur, d’anxiété, de dépression, les attentes des animaux)
- « naturalness » : c’est-à-dire des animaux qui peuvent vivre selon leur nature. Une vache doit vivre dans un pré, par exemple.
Ces concepts sont liés et doivent être considérer en globalité. Pour le dernier critère, Si l’on croit au concept d’évolution… dans le but d’éviter de la souffrance aux animaux, il est nécessaire que l’animal puisse accomplir tous les comportements inhérents à son espèce car ils ont tous une fonction utile à son développement.
Cependant, pour certains, le « bien-être animal » serait une considération de gens riches et bien nourris, une « pensée occidentale », et pourquoi s’y attarder alors que la population mondiale augmente et doit faire face à des problèmes de climat et de sécurité alimentaire ?
Bien au contraire, il s’agit là d’une question centrale. Prenons l’exemple de la vache laitière. Il y a 50 ans, personne n’y prêtait attention. Aujourd’hui, beaucoup plus : on considère que les Etats-Unis (rien que l’est du pays) comptent 54,8 millions de vaches laitières boiteuses contre… 8,3 millions en Nouvelle-Zélande, où le système d’élevage est très largement extensif.
Or, une boiterie (ndlr : anomalie de la marche) chez une vache laitière n’est pas à prendre à la légère, même en termes de rentabilité, car une boiterie, en réduisant les mouvements de l’animal, modifie par là même son comportement, ses interactions sociales, et en conséquence, les vaches atteintes produisent moins de lait et deviennent même infertiles.
Plus on exige des animaux en termes de productivité, plus on les expose à des risques sanitaires et on les fragilise, ce qui n’est pas sans conséquence sur la rentabilité de l’exploitation. Ce n’est donc pas seulement une question de bien-être et de santé : des animaux heureux et en bonne santé produisent plus et mieux, tout simplement. Le but à terme est donc bien de développer des systèmes de production durables qui prennent sérieusement en compte le bien-être animal.
Vers des systèmes de production adaptés à l’environnement, à la culture et à l’économie locales
L’élevage est-il compatible avec les sociétés contemporaines ? Pour beaucoup, l’élevage est aujourd’hui un lointain souvenir dont on trouve encore la trace dans les représentations artistiques et les romans. Il y a encore 50 ou 60 ans, et c’était encore plus vrai au 19ème siècle, toutes les classes de la société, y compris les nobles, vivaient peu ou prou au contact des animaux au quotidien. La relation qui nous liait aux animaux n’était pas basée uniquement sur l’alimentation, mais sur l’exploitation des fibres (la laine), des fertilisants (le fumier), les nobles chassaient, bref, le rapport était direct et quotidien.
Aujourd’hui, les gens « s’éloignent » de la viande. Pourquoi ? Il y a d’abord une notion de distance : rares sont aujourd’hui les boucheries qui exposent crûment les carcasses des bœufs. Pour de nombreuses personnes, la viande se résume à une « chose » rouge dans une barquette sous-vide. Il y a aussi une notion de dégoût et de méfiance envers les systèmes d’élevage industriel pour de nombreuses raisons : bien-être animal, pollution, usage des terres et des sols, rapport moral à la consommation de viande, maladies, risques sanitaires, etc.
On note dès lors une baisse de la consommation de viande en Grande-Bretagne. Un mouvement s’est engagé pour redévelopper l’élevage extensif, arguant que les animaux d’élevage sont des « agents » de la conservation de la faune et de la flore sauvages, et qu’ils façonnent les paysages.
De là est né la notion de « rewildering », soit de rendre à la nature des espaces entiers, avec seulement de l’élevage extensif. Les rotations doivent être obligatoires pour lutter contre les divers problèmes des sols. Le chercheur croit fermement que les systèmes de production d’élevage ne doivent se développer que sur un « terrain » local et selon des circonstances économiques et sociales tenables.
D’ailleurs, la question est posée : est-ce que produire beaucoup est raisonnablement « durable » en Grande-Bretagne, relativement petite île très peuplée et déjà saturée d’industries ? Le débat est ouvert…
Un système de production est considérée comme « durable » s’il est acceptable aujourd’hui et si ses effets le seront toujours à l’avenir, en particulier si l’on considère la disponibilité des ressources et l’impact des actions de production. Dès lors, un système de production n’est pas durable s’il gaspille les ressources naturelles et produit tout effet que l’opinion publique considère aujourd’hui comme inacceptable : effets nocifs sur la santé humaine, négation du bien-être animal, effets dévastateurs sur l’environnement comme une biodiversité appauvrie ou aucun effort de conservation de la faune et de la flore, modifications génétiques inacceptables, revenus insuffisants pour les producteurs dans les pays pauvres, ou encore effets néfastes pour les populations rurales.
Les systèmes sylvo-pastoraux se fondent sur trois niveaux de végétalisation : les pâtures, des arbustes aux feuilles comestibles, et des arbres aux feuilles également comestibles. Ces systèmes sont encore plus efficaces en termes de productivité des animaux que les simples systèmes extensifs : dans les régions tropicales et sub-tropicales, les troupeaux sont plus productifs, la biodiversité plus riche, les animaux sont plus heureux et les producteurs aussi.
Qu’est-ce qui améliore le bien-être des animaux ? Une meilleure nutrition grâce à la variété des plantes ingérées, une meilleure température corporelle grâce à l’ombre que leur procurent les arbres, moins d’anxiété car les bêtes ont la possibilité de se cacher, une meilleure santé car qui dit meilleure biodiversité dit plus de prédateurs de mouches et de tiques, moins de risques de cancers dus à une exposition constante au soleil, de meilleures interactions sociales ainsi qu’avec les humains.
Ces systèmes peuvent être adaptés dans les zones tempérées, mais des recherches doivent être menées afin de les développer.